• Writober 2022 •
Avec mes copines @eleonor_brtt et @laurelf nous avons commencé un « writober », c’est un inktober de l’écriture quoi. Le principe ? Chaque jour du mois d’octobre un mot imposé et un texte à écrire, ensuite partagé sur Insta.
01/10/2022 • gargouille
Enfant, Mathieu ne supportait pas grand-chose et ça ne s’est pas arrangé avec les années. Après avoir vu Le Bossu de Notre-Dame de Disney, il s’était mis en tête que des gargouilles nichaient dans son ventre.
— Alors ça vient d’elles ces bruits dégoutants, maman ?
— Oui et si tu n’es pas sage, elles vont te dévorer le bidon !
— Beeeeeerk, c’est trop dégueu.
À quarante balais, il ne se fait plus d’illusions, mais il ne peut s’empêcher d’imaginer des monstres de pierre se faufiler dans ses entrailles. Que son bide gargouille ou produise des borborygmes, peu importe l’appellation, le même dégoût. Brouille, grouille, trouille, tambouille… Sonorités écoeurantes.
Mais il y a pire à vivre. Lorsqu’il est au lit avec une fille, entendre que ses intestins produisent de la merde au moment où il est en elle, ça lui coupe net toute envie de poursuivre. Il préfère encore les pets de fouffe.
02/10/2022 • se précipiter
Plongée en enfance avec ma madeleine, les chouquettes. Chez Lulu, il y avait aussi les croûtons de pain trempés dans le « beurre brun ». Cet irrésistible beurre de cuisson que ma mère m’interdisait de manger parce que c’est mauvais pour la santé. Sauf que Lulu et moi avions nos petits secrets. Voici donc le writober du jour.
Chaque matin, je quittais en vitesse le creux du matelas fatigué de la petite chambre bleue. Mes pieds nus s’enfonçaient dans la moquette épaisse avant de produire des sons étranges sur le lino. Je galopais dans les escaliers abruptes et je me précipitais dans le salon. Les adultes voulaient à tout prix me faire enfiler des chaussons pour ne pas attraper froid, disaient-ils. J’en avais décidé autrement. “Ce que t’es machue* ! Tu dois tenir ça de ton père !”
Je m’asseyais sur mon trône, une petite chaise en paille, autour d’une immense table basse au plateau carrelé. Face à la télé — probablement devant Lucile, amour et rock’n’roll ou Inspecteur Gadget —, je menais ma vie et j’exigeais de faire bombance selon des règles très précises. Ce que Jojo voulait, Jojo obtenait. Lulu, toujours, obtempérait.
Une fois mon verre d’Oasis avalé, je dévorais des chouquettes volontairement achetées la veille, puis conservées dans un Tupperware. Rien ne me faisait plus plaisir que ces choux avachis, imbibés de sucre. Et parce que ça ne suffisait pas, je les trempais dans un monticule de sucre cristal.
Aujourd’hui, je mange mes chouquettes sans les avoir préalablement maltraitées, mais elles auront toujours le goût de mes vacances chez Lulu.
*têtue, en cauchois (patois normand)
03/10/2022 • chauve-souris – Batman
Les mercredis après-midi, Mathieu tuait le temps auprès des cages à lapins. Il passait d’abord ses troupes en revue, puis saluait chaque animal d’un geste tendre. Il n’oubliait jamais de déposer quelques friandises : épluchures de carottes, salade flétrie et autres fanes de radis. Ce jour-là, tournée de pissenlits fraîchement cueillis pour tout le monde. Voir ses petits copains boulotter les fleurs jaunes, ça valait largement le risque de faire pipi au lit.
Nombre de boules de poil étaient nommées selon ses dessins animés préférés. Il y avait Olive, et bien sûr Tom, Albert (le 5ème mousquetaire), Alvin (et les Chipmunks), Denis (la malice) et Razmoket. Taz (le diable de Tasmanie) avait bien failli s’appeler Batman, mais après réflexion, les super héros ce n’était pas trop son truc. Cornichon, son favori, avait échappé à la règle et était devenu son confident. Alors qu’il roupillait sur son tapis de foin, Mathieu le réveilla pour l’emmener avec lui derrière le corps de ferme. “Allez viens Cornichou, on va s’allonger dans l’herbe.”
La sensation du pelage chaud et soyeux sous ses paumes le cueillait à chaque fois. Il attendait d’être seul pour s’adonner à ce moment. Un grand gaillard de 13 ans, ça ne calinait pas un lapinou, voyez-vous. En secret, il passait des heures à tenir Cornichon contre son ventre. Il lui arrivait de rigoler tout seul en chantonnant “haut les mains peau d’lapin, la maîtresse en maillot de bain !”. Il ne voyait pas le rapport. Pareil pour la souris verte métamorphosée en escargot tout chaud. Il avait essayé une fois en CE1, trempée dans l’huile, trempée dans l’eau, ça n’avait pas marché.
7, 11, 13, 17 & 18/10/22 • voyage, aigle, gentille, salé & racler
11h30 et des brouettes, le barouf des moteurs surpuissants du Concorde en voyage pour New-York, annonçait chaque jour l’arrivée imminente du déjeuner. “Qui qu’a besoin d’aller aussi loin pour une grosse pomme ?! Cheu nous y’en a plein, y’a qu’à se baisser” plaisantait mamie Madeleine lors de ses visites à la ferme. À table, de la protéine en veux-tu en voilà. Des épaisses tranches de museau baignant dans l’huile et les touffes de persil, du jambonneau trop salé, des restes de côtes panées de la veille. Parfois, de la prétendue salade Piémontaise ou de la macédoine achetées chez Crochet, le traiteur réputé de St Romain, mais c’était bien trop garni en légumes pour susciter l’enthousiasme.
— Mathieu, tu finis d’abord ton assiette avant de reprendre du museau.
— Mathieu tu finis d’abord ton assiette avant de reprendre du museau, rembarra l’ado d’une voix nasillarde.
— Je ne savais pas que j’avais un perroquet à la maison… Tantôt nous passerons voir votre père, alors vous allez me faire le plaisir de changer de tenue. Pas de bottines Aigle toutes crottées !
— Qu’est-ce que ça peut foutre que je sois crado ?
— Mais c’est pas vrai ça ! Tu n’as que ça à la bouche, les gros mots ! T’es vraiment tout le temps obligé de t’exprimer avec des foutre, merde, chier, putain ?! C’est trop demander que de parler correctement, Mathieu Vasseur ? Va falloir changer de ton et de comportement, sinon tu sais ce qui te pend au nez !
Est-ce que Pierre entendait les grossièretés de son fils ? Est-ce qu’il voyait la cadette racler bruyamment son assiette pour seule protestation ? Nul ne savait. Nul n’y croyait. Mais tous espéraient, quoi qu’ils en disent.
— Mathilde, ma choupette, sois gentille baisse le volume de la télé. Ce générique du Juste Prix, c’est insupportable.
— T’façon j’irai pas. Ça sert à quoi ? Ça sert à rien. Et puis, j’ai pas que ça à faire. Là, t’as vu j’ai pas dit le mot foutre ! Ça va, t’es contente ?
— Si ton père t’entendait…
— Ouais bein ça tombe bien, la mort ça rend sourd, j’crois.
19/10/22 • queue de cheval
Chez moi écrire c’est pas tant gratter que composer avec la flemme, le doute, la culpabilité, la peur, l’impatience, le syndrome de la bonne élève – plus que de l’imposteure. J’entends souvent qu’écrire est une forme de thérapie. Peut-être mais à date, pas tant dans ce qui émerge de moi que de toute l’énergie et les stratégies que je dois mobiliser pour avancer. Hue dada, voici le writober du jour.
Qu’est-ce que je veux dire ? De quoi parle mon histoire ? Pourquoi est-ce que je veux écrire ce livre ? Quels thèmes je souhaite aborder ? Qu’est-ce que je veux transmettre au lecteur ? Paraît que pour pondre un (bon) manuscrit, faut se poser ces questions.
Comment on fait quand on n’a pas les réponses, putain ! Je ne sais pas pourquoi j’écris. Je ne sais même pas pourquoi je me lance dans un roman. Ça n’a jamais été un rêve de me retrouver en librairie. Je n’ai aucune idée de là où je vais. Au-cune. Ça m’empêche de trouver le sommeil, parfois. Hier soir dans mon lit, j’essayais pour la énième fois de me rassurer. Gratte et tu verras bien ce qui émerge. Explore, expérimente comme tu le fais depuis un an. On s’en fout que tu lises peu de fiction et que tu n’aies jamais ouvert un Zola ou un Balzac de ta vie. Continue à jouer avec les mots comme une gosse. Amuse-toi encore et encore des réactions que certaines phrases produisent. Fonce, sans réfléchir.
Je ne sais pas pourquoi j’essaye d’écrire l’histoire de Mathieu, mais je sais la dopamine qui sature mon corps lorsque j’imagine comment placer “queue de cheval” dans un chapitre. Est-ce que je parle de Gaëlle la jument de trait ? De la coiffure de sa sœur Mathilde ? Est-ce que je joue la provoc’ en parlant de son pénis ? D’ailleurs, le mot pénis c’est pas un peu trop poli ? Parce que, au fond, c’est probablement ça que je kiffe, l’art d’essayer, l’art des saillies.
20/10/22 • bluff
Le coup de bluff fonctionnait toujours. Le seul moyen de faire avaler du poisson aux enfants (hormis ces cochonneries de Captain Iglo), était de leur promettre une pièce de dix francs s’ils tombaient sur une arête. Plus personne alors ne se faisait prier, la quête pouvait commencer. Dépiauter méticuleusement la darne, la réduire en charpie afin de dénicher le magot. Mastiquer longuement. Traquer le moindre picotement en bouche avant d’avaler. Espiègle, mamie Marcelle préparait même des boulettes de mie de pain, des fois que. “Personne n’a trouvé d’arête ? Décidément, c’est la faute à pas d’chance.”
Ce midi-là, l’enjeu était double : quelques bouchées de cabillaud, au moins quatre ou cinq, sinon pas de galette au beurre*. Sauf que Mathieu n’avait pas envie de coopérer. Il essaya tant bien que mal de gruger sur les portions, préférant les patates écrasées gorgées de crème fraîche. Pour sa défense, c’était toujours trop sec parce que trop cuit dans un bain de flotte aromatisée au Kub Or. L’époque n’était pas à la cuisson basse-température et à la chair nacrée, encore moins aux épices Roellinger. Chez les Vasseur, dans les années 90, un nombre certain de poissons sont malheureusement morts pour rien.
*Elle n’a d’ailleurs rien d’une galette puisqu’il s’agit d’un genre de pâte à croissant élancée et joufflue. Elle doit mettre du beurre plein les doigts, sinon c’est pas la peine. Parfois, lors des dîners de famille, on l’incise pour glisser, entre ses lèvres feuilletées, du saumon fumé. Forcément, on tartouille de crème fraîche. On cache éventuellement des épinards, les mioches n’y verront que du feu. Au four et zou, à table.