Marjorie Fenestre

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Prémices

Plus je fixe la fille de la photo, plus il me semble que c’est elle qui me regarde.”* Je suis dévisagée par deux pupilles loin d’être impressionnées par ma présence. C’est d’ailleurs tout le contraire, mon mètre soixante-treize se sent minuscule face à elle. Je n’en mène pas large mais je suis intriguée par sa prestance.

Lorsque j’ai demandé à ma mère de retrouver cette photo, la plaisanterie a immédiatement fusé : “Ah oui ! Celle où tu tires la tronche !”. Preuve irréfutable, selon la légende familiale, que j’avais l’air aussi aimable que mon père.

Regard perçant, pyjama bleu, poing levé, quelques heures d’existence et déjà habitée par une puissance increvable. Prête à affronter n’importe quelle tempête, à s’affirmer sans jamais baisser les yeux. Je soupçonne un clin d’œil inconscient à mamie Madeleine, forte tête adoratrice de Marc Lavoine et de sa chanson Elle a les yeux revolver. Pas de doute, les siens fusillent le photographe de passage à la maternité. Quelle dangereuse idée de l’extirper de sa sieste. Ne jamais réveiller un lion endormi… Elle semble prête à bondir, à asséner un coup de griffe à quiconque viendrait la contrarier.

Lorsque je regarde en arrière, tout était là. En moi, en elle et dans une généalogie audacieuse. Enfant je me rêvais astronaute ou chirurgienne. Mes parents m’ont gentiment invité à trouver un autre métier. Pas parce que j’étais une fille mais parce que j’avais des notes lamentables en sciences.
Aujourd’hui à un tournant de ma vie, je ne sais plus trop ce que j’ai envie de faire. Mais il suffit que je plonge mes yeux dans les siens pour être rassurée. Dans les moments de doute, me relier à elle. Convoquer sa puissance et son regard frontal sur l’existence. Incarner ce que j’ai toujours été.

*Extrait de Mémoire de fille de Annie Ernaux

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